J’étais ici dans cet environnement familier à
peine sorti des brumes de mars.
Il faisait beau, presque chaud comme si le poêle
de bois que je venais d’installer ce matin débordait dans le jardin, emplissait
l’espace de senteurs printanières à l’arrière-goût de pin fumé.
Les chats me regardaient d’un air fâché ou
hautain …mais n’ont-ils pas toujours ce regard, ces animaux qui ne daignent
jamais sourire même dans l’expression d’une rare affection éprouvée ?
J’ai pénétré dans ma petite forêt (sur Google
map, elle apparaît vraiment telle) accompagnée de bruits d’oiseaux divers.
Je pensais à toi, à ta frénésie d’écrire
n’importe où. Je m’étais installée à la vieille table en bois, un squelette de
bois, envahi par les mousses, les champignons, les insectes à peine réveillés
de leur sommeil hivernal pas encore visibles à l’œil nu. Seuls les pieds de la
table semblent encore tenir noyés dans l’herbe haute, ils ne montrent pas leurs
blessures sanguinolentes, leurs lambris de bois …
Une table pour plus de confort que des genoux
instables, un livre bilingue français-anglais (je vous jure que je lis la
version anglaise d’abord) et des feuilles A4 pliées en deux, un stylo noir qui
venait de rendre l’âme, un bleu qui l’avait avantageusement remplacé.
Des cris d’enfant, retour de classe. L’heure du
défoulement après l’attention studieuse ou la dissipation prélude des longues
stations scolaires.
Je pensais à toi qui écrivais n’importe où, je
me demandai si un jour j’aurais pu te découvrir dans ton n’importe où ou
seulement l’imaginer. Je me disais que cette » fièvre était parfois
mienne. Comme maintenant alors qu’un insecte minuscule venait longer la page
blanche en prenant soin de ne pas s’y aventurer complètement de peur de
représailles (les insectes ont cette conscience innée du danger, parfois). Un
avion invisible arpentait le ciel, une toux d’homme venant impatiente,
accompagner les chats d’oiseaux et les meuglements des vaches qui croyaient
déjà à cette heure que leurs pis devaient être délivrés.
Dans quelques jours viendrait ce stupide
changement d’horaire auquel chaque fois je ne comprends rien, avancer ou
reculer, il faut choisir, obéir et que tout le monde abhorre mais que tout le
monde suit.
Sauf dans ce petit village (dont j'ai oublié le nom, à moins qu'il n'existe que dans les brouillards de mon imagination) où ils ont voulu
maintenir le véritable rythme du temps et vivent en autarcie par rapport à
l’heure dénaturée imposée à tous
Oui, on se préparait aux futures insomnies des
soirées claires, aux petits levers sombres comme au début de l’hiver et les
vaches le sentaient déjà.
Et moi, ici, j’écrivais n’importe quoi. Ma
fièvre d’écrire n’était pas créatrice comme la tienne, mes centres d’intérêt
étaient terre à terre, presque visuels …
A travers la haie d’aubépines encore
clairsemée, le soleil bas se baignait dans une flaque apparue ces derniers
jours dans la prairie voisine presque transformée en esquisse d’étang. Les
enfants s’il y en avait eu, auraient aimé patauger dans les flaques dorées puis
regarder l’eau s’apaiser pour admirer les reflets naissants. Mais il n’y avait
pas d’enfants, seulement des vaches en concert discontinu et des bruissements
d’ailes atténués dans les feuillages.
La fièvre d’écrire n’est pas une fièvre
ordinaire si elle n’a pas pour origine une maladie bien précise.
Ta maladie est une fièvre d’être, de devenir,
elle est en mouvance permanente. Elle trouve ses sources dans tes sentiers
détournés.
Est-ce que je voulais t’imiter, est-ce que
c’était la manifestation d’un ennui, moi qui prétends ne jamais ennuyer. Ou un
manque. Un manque de toi.
En attendant de lire tes délires
psychédéliques, me construire une retraite folle, sans raison. Juste laisser
les mots suivre la pensée ou la précéder ou s’y superposer ou un réflexe
d’écriture automatique.
Je ne sais si je te dirai ma folie, mon manque,
ou tout autre chose.
Mais ces vagues de mots qui vont et viennent
dessinent un univers qui existe autrement que je le perçois.
Je voudrais partager un moment avec toi, mais
je ne le puis, nos ondes sont des choses fragiles et éphémères. Y penser est
leur donner une importance qu’elles ne sont peut-être capables d’assumer.
Le soleil s’est élargi, ses contours de plus en
plus pour mes yeux qui doivent se réhabituer à la lumière après des travaux de
remise à jour dans des lieux mal éclairés.
Au plus il s’élargit, au plus il perd de la
chaleur qu’il diffusait cet après-midi.
Ou peut-être qu’il ronge mon inspiration
vacillante troublée par le moindre aboiement de roquet.
Qui a dit que la campagne est un lieu de tout
repos !